Mon père est décédé l'année dernière, juste avant noël, d'un cancer de la gorge qui le rongeait depuis déjà 6 ans. Durant cette période difficile et pénible, son entourage n'arrêtaient pas de me dire: « Ton père était vraiment un battant », « Il était si résilient. Il n'a jamais abandonné ! ». Et en effet, je reconnaissais bien mon père dans ces mots, mais plus j'y réfléchissais, plus je me demandais si cette attitude systématique de combattant, qui l’avais caractérisé tout au long de sa vie, avait vraiment été si bénéfique.

Nous avons tendance à voir la persévérance, la ténacité et la résilience comme des qualités incroyables, mais poussées à l'extrême, elles peuvent devenir de l'entêtement, de la rigidité et même du déni. Mon père se battait d’ailleurs souvent contre et très rarement pour…
C’était un Espagnol de bout en bout. Malheureusement, il a peine connu son père et fut mal élevé, voire pas du tout, par sa mère jusqu'à ce qu'elle l'envoie en France chez son frère pour qu’il s’occupe de lui. Quand j'étais enfant, mon père ne parlait que de son travail ou de ses années de service militaire à San Sebastian, dont il gardait de très bons souvenirs. Il était fasciné par les armes et les westerns, qu'il pouvait regarder en boucle. Ses devises étaient: « Frapper d'abord, poser des questions après » ou « Mieux vaut donnez le premier coup de poing, ce sera peut-être l’unique opportunité ». Il était très autoritaire et pensait que la discipline était la seule voie à suivre.
Il avait un bon sens de l'humour mais j'ai surtout grandi avec cet homme, souvent en colère et très strict, qui a fini par devenir alcoolique, et qui pensait que la vie était un combat et que pour être méritant il fallait souffrir, prendre sur soi et « toujours aller de l’avant » : « Seguir adelante ! » comme il disait toujours. Donc, en enfant obéissante que j’étais devenue (pour ma propre survie), j'ai moi aussi adopté l’idée que la vie était un combat et pendant de nombreuses années j'ai agi en conséquence. Adolescente, j’étais sociable mais je gardais toujours mes distances et donnais ma confiance assez rarement, seulement si je me sentais à 100% en sécurité. Cela a fonctionné pendant un certain temps, mais au final être (ou paraître) forte à tout moment est devenu trop difficile.
Afin de garder les apparences en permanence, je devais invariablement me mentir à moi-même et aux autres sur comment j’allais réellement. Je réprimais mes émotions. Cela impliquait également de me sentir seule contre le monde entier. Et même si j'avais de très bons amis qui m’aimaient et me soutenaient, je me souviens m'être sentie très seule et déconnectée au plus profond de moi. Je ne le savais pas à l’époque mais il n’y avait pas de place pour la vulnérabilité dans ce monde que j’avais dupliqué et comme le dit si bien Brené Brown: « la vulnérabilité est source de créativité, d’authenticité et de changement ».
Donc, pendant une longue période de ma vie, j'ai été partagée entre des élans de force où je combattais le monde, et des moments de retraite où je pansais mes blessures et me sentais exténuée et vraiment perdue. Vivre comme ça était épuisant car j'étais au repos, comme un soldat armé jusqu'aux dents attendant une attaque de grande envergure à tout moment. Et puis une fois de plus, mon père me fit le discours complet sur le fait que la vie était un combat inévitable et il m'est soudainement apparu que, à choisir, c'était une façon très sombre de voir et de vivre la vie, et le détail important ici c’est que je me suis rendue compte que j'avais le choix. C'était sa vision du monde, pas la mienne. Une approche compréhensible, façonnée par une enfance très dure, mais ses stratégies d’adaptation ne devaient pas forcément devenir mes vérités ou mes croyances!
Cela m'a ouvert de nombreux sujets d'introspection, sur lesquels je travaille encore aujourd'hui. Ça a ouvert des questionnements sur l'amour inconditionnel, l'estime de soi, la vulnérabilité et la confiance. Qu'était la vie si ce n'était pas un combat? J'ai fait un voyage autour du monde pendant un an un peu avant mes 30 ans (ça fait un bail donc ☺) et l'une des choses qui m'a le plus surprise, c'est que plus de 95% des personnes que j'ai rencontrées étaient serviables, curieuses, intéressées ou bienveillantes. Ça représente beaucoup de monde ! Et je ne dis pas que nous devrions tous nous transformer en gros nounours, porter des couronnes de fleurs et nous tenir la main, mais être continuellement équipés et prêts à aller au front à tout moment me semble tout aussi exagéré, n'est-ce pas ?
Alors finalement je me suis retrouvée aux portes de la caserne, je savais ce que je quittais mais je n’avais aucune idée de là où je me dirigeais. C'était effrayant et exaltant à la fois. J'allais façonner une nouvelle vision de ma propre vie. Revenant à Brené Brown, elle dit: « Se permettre d'être vulnérable, c'est accepter d'être imparfait, tout en se sentant digne d'amour et d'appartenance! » Une nouvelle devise pour une ancienne warrior devenue pacifiste !
Quant à mon père, son combat est achevé et vraiment terminé. J'aurais aimé qu'il ait également quitté le champs de bataille plus tôt dans sa vie, mais là c'est moi qui pousse ma vision du monde sur lui. J'imagine que c'est à chacun de nous de décider de la manière dont nous souhaitons vivre notre vie, peu importe notre passé. Nous pouvons soit nous y accrocher à nos souffrances et les laisser nous définir, soit décider de faire différemment et d'oser mieux !
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