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Photo du rédacteurMC Mendez

L’intolérable tolérance

La notion « d’être soi » me fascine. Je cherche depuis déjà pas mal de temps à comprendre qui je suis. J’aide aussi les autres dans leur démarche de découverte d’eux-mêmes et je m’émerveille à chaque fois de la diversité qui nous caractérise. J’aime la différence. Elle m’interpelle. J’admire les gens qui ne se justifient pas d’être qui ils sont. Mais mon regard d’aujourd’hui n’aurait pas forcément vu le jour si je n’avais pas été recadrée de manière spectaculaire par une collègue il y a plus de 20 ans.



C’était à l’époque où je travaillais à Londres. Je venais juste d’arriver du Devonshire. J’avais décroché un boulot de productrice web dans une très chouette société. Je collaborais étroitement avec la webmaster, une fille plus jeune que moi et particulièrement douée. Elle m’a appris mon métier mais ce n’est pas pour cela que j’aimerais la remercier.


Après quelques semaines dans le poste, elle m’a prise à part à un moment donné pour me révéler qu’elle était gay. Je me souviens m’être dit : « Tiens pourquoi elle me dit ça, ce ne sont pas mes oignons ». Je ne m’imaginais d’ailleurs pas moi-même devoir divulguer mes préférences sexuelles et je la trouvais bien courageuse de me révéler cette information si personnelle. A l'époque je n'avais pas connu beaucoup de personnes homosexuels et je n'avais pas non plus beaucoup réfléchi sur la "question" (qui au final n'en est pas une du tout), j’ai donc pris cet élan de confidence comme une marque de confiance.


Plusieurs mois plus tard, nous nous connaissions mieux à force de travailler ensemble, et alors que nous partagions un sandwich sur un banc au soleil pendant l’heure du midi nous avons commencées à parler de son homosexualité. Je lui demandais des questions du style « Quand as-tu su que tu étais attirée par les femmes ? », « Comment ont réagit tes parents et ton entourage ? » etc.. Des questions auxquelles elle me répondait avec franchise et humour. Puis presque pour conclure, je lui dis : « Bon au moins c’est chouette, a l’heure actuelle c’est quand même plus toléré » (Rien que d’écrire ces mots ça grince dans mon cerveau). Et là, égale à elle-même, avec une douceur et une précision qui la caractérisaient si bien, elle m’a répondu : « Mais MC est-ce que toi tu aimerais être tolérée ? »


J’ai du prendre quelques minutes pour mesurer toute l’ampleur de sa réponse. Qui sur cette planète souhaitait être toléré ? …Comment avais-je pu être si aveugle au sens de ce mot, à ses limitations, à la part de pouvoir qu’il prétend posséder sur l’autre, à son manque total de liberté d’être ?

Voici d’ailleurs quelques définitions du verbe tolérer :

- « Laisser se produire ou subsister une chose qu'on aurait le droit ou la possibilité d'empêcher »

- « Supporter avec patience ce qu'on trouve désagréable, injuste »


Pour reprendre mes mots de l’époque « C’est chouette, hein !? »


J’ai compris à ce moment précis que ce qui est, est, qu’une ou mille personnes le tolèrent ou non. Qu’accepter un être humain ce n’est certainement pas le « tolérer ». Depuis ce mot m’arrache les oreilles.


On peut essayer de remettre en question l’identité d’une personne mais ça ne changera rien à ce qu’elle est vraiment. Est-ce qu’on remet en question un arbre parce qu’il pousse différemment d’un autre ? Une plante parce qu’elle n’a pas exactement la même forme qu’une autre ? Non, on les considère toujours comme un arbre et une plante. Et même si on les remettait en question, ils seraient toujours là tels qu’ils sont ! C’est formidable non ?


Après une première vague de honte d’avoir été aussi obtus dans ma vision des choses, une vague de rire m’a envahit. Et là, assise sur ce banc c’est comme si j’avais quitté le monde pendant un instant. Je venais de découvrir un fabuleux secret que j’avais envie de révéler au monde entier. J’avais ce mot tolérance écrit devant moi et il me paraissait complètement ridicule.

Cette expérience m’a permise de comprendre que la tolérance est une illusion (à connotation vertueuse) de pouvoir sur son prochain ! Que je tolère ou pas un(e) étranger(e), un(e) gay, un(e) transsexuel(le), un(e) bi, un(e) punk , tout être différent de moi (à peu près tout le monde), ça ne change en rien le fait qu’ils existent et qu’ils sont qui ils sont ! Quel magnifique recadrage. Quel apprentissage. Quelle prise de conscience. Quel cadeau !


Je pense souvent à cet instant, surtout quand je croise ou accompagne des gens qui sont en souffrance ou qui vivent un mal-être profond. Si seulement ils savaient, qu’ils sont pourtant les seuls et les meilleurs placés, pour savoir qui ils sont, et pour être qui ils sont, et que toute personne qui remet ça en question n’est qu’un spectateur avec des illusions de grandeur ! Alors que la réelle grandeur réside dans la liberté d’être soi.



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